J’ai rencontré Sarita à un point d’eau au-dessous de ma guesthouse, à la sortie d’une gorge où coule un filet d’eau fétide. Elle venait d’y faire sa lessive avec sa fille et une amie. Elle portait une de ces hottes en bambou que les gens utilisent ici pour transporter un peu de tout : des bouteilles d’eau, de la terre, des courses, des légumes. Posée contre sa hanche, la sienne contenait ses affaires fraichement lavées. On a engagé la conversation. Son amie parlait bien anglais ; elle, bien moins. Face à mes projets de balades dans la région, elles se sont vite proposées comme guide. Sarita m’a donné son numéro de téléphone, au cas où…
Nous nous sommes recroisés le lendemain après-midi par hasard, alors que j’allais prendre mon déjeuner au main bazaar. Elle m’a accompagné. On a discuté en partageant un dal-bath, puis on a convenu qu’elle me guiderait aujourd’hui à Lungeli, un petit village à une demi-heure de marche de Bandipur. Peu à peu, Sarita se dévoile. Elle parle volontiers, mais il est souvent difficile de la suivre, car son anglais est encore médiocre. Elle a vingt-six ans et vit seule avec sa fille. Sa mère a une ferme dans une autre vallée à quelques kilomètres de Bandipur ; son père est flic en Inde. Ils sont divorcés depuis qu’elle est petite et n’a pas revu son père depuis une vingtaine d’années. Elle a eu fait un peu de ménage et de lessive pour un des hôtels haut de gamme de la place, mais a finalement renoncé face aux conditions de travail déplorables. Des journées de 6h du mat’ jusqu’à 21h, sept jours sur sept, pour trois mille cinq cents roupilles par mois.
Ma guide pour Lungeli Village, à une demi-heure de marche de Bandipur
Comme convenu, je suis allé chez elle vers 9h30 ce matin pour aller à Lungeli. Elle m’avait montré où elle habitait. Elle m’a fait entrer chez elle : une petite pièce sombre de six mètres carré dans une ancienne bâtisse du XVIIe siècle. Un lit simple à gauche en entrant. Une petite table basse surmontée d’une cuisinière à gaz en face de l’entrée. Pas d’eau courante. Elle va la chercher au point d’eau à trois cents mètres en contrebas de chez elle. Elle m’a offert une infusion d’herbettes de la région – excellente. Puis a préparé un « Horlicks » à Djina, sa fille de sept ans, avant de faire la vaisselle par terre, accroupie devant chez elle. J’en ai profité pour m’amuser à faire des photos avec Djina. Des touristes qu’elle connaissait sont passés pour lui dire bonjour, puis sont repartis sans accepter son verre de thé. Une amie de Djina est passée jouer un moment.
Pénurie d’eau à Bandipur
Sarita a ensuite préparé un dhal-bath, qu’elle a mangé avec Djina. Elle m’en a proposé ; j’ai décliné, vu que je venais de prendre mon petit-déj. Puis elle a fait une rapide toilette à sa fille – les jambes, le visage et les bras passés à l’eau avec une tasse ; un coup de peigne. Il faut dire que c’est la saison sèche et que l’eau est rare. Très rare. Chacun l’utilise ici avec grande parcimonie – à l’hôtel, on m’a demandé de ne pas prendre de douche. Sarita a changé les vêtements de Djina.
En avril, c’est la saison sèche et l’eau manque. La plupart des ménages ici n’ont pas l’eau courante et doivent aller chercher l’eau aux puits, à grand renfort de jarres et de bidons. Or l’eau se fait rare, vraiment rare maintenant. Cette nuit, Sarita s’est levée à trois heures pour aller chercher de l’eau à la source. Mais elle a dû attendre trois heures avant de pouvoir puiser le précieux liquide, car il y avait déjà la file… Et aujourd’hui, certains restaurants étaient fermés au main bazaar, faute d’eau.
Un passage par l’école
Avant de partir pour Lungeli, nous sommes encore passé par l’école de sa fille, pour qu’elle l’enregistre pour la prochaine année scolaire qui débute tout soudain et s’acquitte de ses frais d’écolage pour le trimestre à venir : quatre cents roupies. Elle y tient fermement car elle, elle n’a pas pu aller à l’école. Sa mère qui était seule avec Sarita et son frère n’avait pas les moyens de lui payer une scolarité. Ses connaissances, elle les a appris sur le tas. Elle a appris à lire et à écrire avec des amies qui allaient à l’école, le soir quand elles en revenaient. Elle prends maintenant des cours d’informatique dans un cybercafé du coin – une heure par jour – et apprend l’anglais avec les touristes de passage.
Il était 11h30 quand nous sommes sortis de l’école. Nous avons pris une des pistes poussiéreuses qui contournent Bandipur, direction Lungeli, en faisant un grand crochet autour du main bazaar.
Peu de solidarité entre les habitants de Bandipur
Je me suis étonné qu’elle m’invite chez elle. Il est généralement mal vu qu’une femme invite un homme chez elle en Asie. Elle dit s’en foutre de ce que pensent les voisins, mais que dans tous les cas, elle n’y inviterait pas un népalais. Sarita ne semble pas tenir en haute estime les hommes de son pays, de même qu’elle ne semble pas tenir les habitants de Bandipur en haute estime non plus. « It’s just money, money, money, here ». Et de fait, Piers, mon très british logeur me l’a aussi confirmé. Ici, ils courent tous après le fric, pour leur pomme. La solidarité ne semble pas être un concept ayant le vent en poupe dans la région et lorsqu’il a demandé un soutien aux gens du village pour des projets communautaires, personne ne l’a suivi.
Sarita a divorcé après un mariage foireux à Delhi où elle a habité quatre ans avec son frère. Ce dernier a accepté un mariage d’un prétendant, auquel elle s’opposait mais n’a pas été prise au sérieux. « We were fighting all the time » dit-elle, écœurée. Djina en a néanmoins vu le jour, née prématurément à sept mois. Sarita est revenue au Népal suite à son divorce. Son rêve: habiter dans un petit village perché sur la montagne, sans route. Sa mère, habite seule à Doordoore, un village au sommet d’une montagne en face de Bandipur, auquel on accède par une demi-heure de pistes pourrie en moto. Elle garde parfois Djina lorsque sa mère a trop de travail ou s’absente plus longuement.
Contrairement à beaucoup de népalais, Sarita ne se contente pas de cette vie précaire. Elle a des rêves et des ambitions, qui sont malheureusement limités par son absence de scolarité et de réseau social. Elle aspire néanmoins à se sortir de sa situation et s’en donne les moyens dans la limite de ses possibilités. Elle apprend à utiliser un ordinateur, elle prend des cours de massage et apprend l’anglais avec les touristes. Elle aimerait devenir guide, ce qui lui assurerait un minimum de revenus dans des conditions respectant sa dignité.
Si elle y trouve une chambre, peut-être va-t-elle déménager à proximité de la communauté du Mountain Ridge Guesthouse, une petite pension, gérée par Piers, un british très british installé à Bandipur après onze ans à Udaipur, qui verse ses bénéfices à une assoc’ destinée à développer les conditions de vie des habitants du quartier.
Guide et guesthouse à Bandipur
Donc, si tu passes par Bandipur, que tu cherches un guide ou non, n’hésite pas à lancer un coup de fil à Sarita (+977 98 14 18 40 77 – sarita.tanahugila@gmail.com) et à loger au Mountain Ridge. Ils en valent la peine. Sarita sera ravie de te guider dans la région qu’elle connaît comme sa poche et à faire la causette. Piers (+977 98 49 4057 89 – udai99@hotmail.com) se fera un plaisir de t’accueillir dans sa guesthouse en bordure du village où il fait un travail fantastique.