Retour à la Kumbha Mela en pleine tempête

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Arrivée à la Kumbha Mela en pleine tempête

Il a plu toute la journée hier et une bonne partie de la nuit. Le fond de l’air s’est bien rafraîchi ce matin lorsqu’on part prendre le bus avec Lavinia pour retourner à la Kumbha Mela. Craignant que les bus ne soient surbondés, on s’est levé tôt. Le jour se lève à peine lorsqu’on monte dans le rickshaw qui nous mène au bus stand. Il ne pleut plus, mais le rickshaw doit slalomer entre les profondes flaques qui jalonnent le chemin.

Après dix minutes de cahots, on arrive à un bus pour Allahabad, presque vide, qui attend le long de la route. Quelques personnes montent à bord durant la courte attente qui précède le départ du bus, mais ce dernier est loin d’être plein lorsqu’il démarre.

On roule depuis une heure sous un ciel chargé, quand au loin un front nuageux noir et bas obstrue l’horizon. Il se rapproche rapidement, tandis que l’obscurité se répand dans le bus, puis glisse sur la gauche. En quelques secondes, une pluie torrentielle frappe le bus, s’infiltre dans l’habitacle. La fenêtre à côté de moi fuit et l’eau me gicle au visage. Par moments, le bus plonge dans les inondations qui couvrent la route, soulevant de grandes gerbes d’eau sur son passage.

Le déluge s’arrête aussi soudainement qu’il est apparu, mais le ciel reste couvert et une pluie fine perdure.

Arrivée à la Kumbha Mela

On arrive à Allahabad vers 10h30, à peine trois heures après avoir quitté Varanasi, alors qu’avec PA on avait mis plus du double en sens inverse. On essaie de sortir avant le pont de la Grand Trunk Road sur le Gange, où un indien avec qui on a sympathisé durant le trajet descend aussi pour rejoindre son père à la Kumbha Mela. Mais à peine a-t-il passé les portes que ces dernières se referment et que le bus repart. Impossible de le faire s’arrêter avant qu’il ne soit arrivé à l’autre extrémité du pont, deux kilomètres plus loin. On y descend, mais on a perdu notre indien.

Un crachin continue à tomber et on n’est pas équipés pour la pluie. Pour l’instant, c’est supportable avec les couvertures qu’on a avec nous et dans lesquelles on s’enroule une fois arrivés sous le pont. Puis on prend le chemin du camp de Moji Baba, au secteur 7, où j’ai laissé des affaires durant l’aller-retour à Varanasi, notamment la tente et des couvertures chaudes. On doit cependant les récupérer aujourd’hui, car Moji Baba part ce soir de la Kumbha Mela avec sa suite et le camp sera entièrement démonté. On a donc une bonne heure et demie de marche jusqu’à son camp, qui se trouve à l’extrémité nord-est de la Kumbh’.

Première halte, premières photos

La tempête nous tombe dessus

Seconde halteOn est encore en train de longer le quartier de Daraganj que soudain la pluie s’intensifie jusqu’à devenir diluvienne. Le vent suit et se transforme en tempête. On se réfugie sous une bâche en plastique couvrant un étal de céréales en bord de route. Les indiens qui tiennent les stands alentour nous y rejoignent, ainsi qu’un autre couple d’occidentaux. Le temps passe, on le tue comme on peut. On discute, on fait une petite séance photos. Une heure plus tard, le déluge n’a pas cessé. Durant une vague accalmie, on tente de reprendre notre chemin, mais elle est déjà un souvenir lorsque nous arrivons aux toilettes publiques quelques dizaines de mètres plus loin. Un tchaïshop nous accueille peu après, où on nous offre le tchaï avant de nous inviter dans une petite boutique de fringues juste derrière, dans laquelle bon nombre de personnes sont aussi réfugiées. On nous offre à nouveau le tchaï, on discute, on refait quelques photos. Le vent redouble de puissance, la pluie aussi. Et bien que le temps passe, les éléments ne se calment pas.

Seconde halte dans une échoppe de fringues

Seconde halte dans une échoppe de fringues

A l’assaut des éléments

Il est presque treize heures lorsqu’on décide de se lancer malgré tout dans la tourmente. Advienne que pourra! Lorsqu’on se retrouve à côté du mausolée aux martyrs, quelques centaines de mètres et un pont plus loin, on est déjà trempés jusqu’aux os. Nos sacs à dos, heureusement, tiennent le coup. Au moins aura-t-on des habits secs à l’arrivée.

Deux heures de marche sous une pluie froide et cinglante

La Kumbha Mela est à peu près déserte et nous faisons partie des rares personnes à s’y déplacer. Il y a eu beaucoup de départs après le Main Bath et ceux qui restent sont blottis sous les quelques abris existants, souvent de fortune. Des bâches plastique ont été tirées au-dessus des tentes – qui prennent l’eau – et des stands, mais suffisent rarement à retenir vent et eau.

Apocalypse et désolation

Autour de nous s’étale un spectacle apocalyptique. Tout est dévasé. La Kumbha Mela est entièrement construite sur les parties émergées du lit du Gange dont le niveau est bas à cette période de l’année. Avec les pluies torrentielles de ces dernières vingt-quatre heures, son limon s’est transformé en un gigantesque marécage de boue, dans lequel nous glissons ou nous enfonçons jusqu’aux chevilles. Certains camps sont inondés et ont dû être évacués. Les bacs de rétention des latrines débordent et leur contenu se mêle aux lacs formés par les inondations.

Les camps mégalos ont bien morflé

Les camps mégalos ont bien morflé

Les prétentieux portiques des ego-gurus, hauts et recouverts de tentures, se sont écroulés, leurs entrailles de bambou arrachés par le vent, et gisent tels des squelettes préhistoriques dans les flaques brunâtres. Leurs tissus battent au vent et des plaques de tôle ondulée tranchantes sont emportées par les bourrasques. Il n’y a plus une échoppe ouverte.

Deux heures durant, on marche ainsi à contre vent, glissant, s’enfonçant, la pluie glaciale nous cinglant le visage. Nos habits sont entièrement détrempés et l’eau froide ruissèle le long de nos corps jusque dans nos chaussures.

La camp dévasté de Moji Baba

Le camp dévasté de Moji Baba à notre arrivée

Lorsqu’enfin, transis, nous arrivons au camp de Moji Baba, c’est pour tomber sur un spectacle de désolation là aussi. Plusieurs tentes se sont effondrées sous les rafales et la plupart de celles qui restent debout sont inondées. La grande tente centrale, elle aussi, est en piteux état. Ses tentures ont été arrachées, l’eau y monte jusqu’au chevilles. Des posters de Moji Baba se sont envolés avant d’atterrir dans la boue où ils se désagrègent.

Une affiche de Moji Baba emportée par le vent avec la cuisine au fond à droite

Le camp semble désert. On s’y aventure, on guigne dans une des tentes encore debout. Une bonne vingtaine de personnes y sont abritées, serrées les unes contre les autres, tentant difficilement de rester au sec. Etonné, je constate que je ne connais personne. Eux, par contre, semblent avoir entendu parler de nous et nous dirigent vers la cuisine, au fond du camp.

Quelques rajasthanis encore dans le camp à notre arrivée

Retrouvailles

J’y retrouve Mister JP Joshi, le grand coordinateur du camp, ainsi que l’assistant guru en bras de chemise, en train de faire des chapati, assis par terre. La cuisine au toit de tôle abrite un grand nombre de personnes à la recherche de quelques centimètres carré de terre sèche. Je ne reconnais aucune des têtes. Mister Joshi m’annonce que leur départ, prévu à 18 heures, est un peu retardé en raison du temps, mais qu’ils partiront en fin de soirée. Lavinia et moi pouvons dormir dans le camp, mais il sera vide et des ouvriers viennent demain pour démonter les tentes. On devra donc trouver un autre lieu d’accueil dès demain.

On récupère le sac que j’avais laissé au camp avant de partir avec PA en début de semaine. Il y a bien quelques affaires contre le froid, mais pas assez pour tenir la nuit. Avec Lavinia, toujours trempés, on décide de repartir dans la tourmente, dans l’espoir de trouver une échoppe de couvertures ouverte. Heureusement, la pluie s’est calmée. Contrairement au vent qui continue à tout coucher sur son passage.

On repart pour acheter des couvertures chaudes

La Kumbha Mela est devenue un champ de boue glissant

Nouveau passage de l’ouragan

Le même spectacle de désolation s’offre à nous durant notre marche. Tout est fermé. Lavinia enfonce jusqu’au chevilles et doit continuer à pieds nus, ses tongs restant collées dans la boue à chaque pas. Après une heure de glissades et de lutte contre la tourmente, on trouve enfin un tchaïshop ouvert, sur lequel on se rue. Et un peu plus loin, un des rares magasins ouverts vend des couvertures. Coup de bol ! Le tchaï terminé, on prend l’échoppe d’assaut.

Un baba rencontré au tchaïshop

Au retour, alors qu’on marche le long d’une des routes principales, je constate qu’un front noir nous arrive dessus à grande vitesse. A peu près au même instant, un pick-up nous passe à côté et nous propose un lift pour cent cinquante roupies. C’est dans les prix à la Kumbha Mela, bien que dans le haut de la fourchette. Pris d’un mauvais pressentiment, j’accepte après avoir marchandé à cent et on saute sur le pont arrière.

Latrines et inondations se mélangent...

Il nous dépose à cent mètres du camp de Moji Baba et alors qu’on passe le portique du camp, un déluge s’abat subitement sur nous. On a à peine le temps de se réfugier sous la première tente encore debout, qui est inondée et fuit de partout. Elle menace elle aussi de s’effondrer sous la pression du vent. Courant sous les trombes d’eau et pataugeant dans la boue, on part se réfugier sous une des tentes qui résistent.

Une Ambassador boueuse

Hypothermie

Une vingtaine de personnes y sont entassées dans un coin encore sec. Leurs affaires, prêtes à être transportées dans le bus, sont regroupées sur une bâche plastique, à l’abri de la pluie qui s’infiltre sous les murs de la tente. Tout le monde y est enveloppé dans des couvertures pour se protéger du froid.

Lavinia et moi montons notre petite tente dans un coin de la grande, puis nous changeons enfin, après quatre heures passées dans la tempête, entièrement mouillés et grelottant de froid. Nous sommes transis, en hypothermie. Heureusement, nos sacs ont tenu le coup et on a encore des fringues sèches à se mettre sur le dos. Pour essayer de se réchauffer, on s’enroule aussi dans les chaudes couvertures qu’on vient d’acheter. Mais ma bronchite asthmatique repart de plus belle et ma fièvre remonte. Les râjasthânis nous amènent à manger un peu plus tard, mais on est incapable d’ingurgiter quoi que ce soit.

Power cut

La nuit tombe alors que la tente est toujours brutalement secouée par les rafales et que d’autres tentes se sont affaissées dans le camp. Peu à peu, les râjasthânis embarquent leurs affaires dans le bus. Tout a été démonté, même les prises électriques et les ampoules installées dans les tentes. On se retrouve dans le noir. On l’aurait été de toutes façons, car toute la Kumba Mela est plongée dans le noir, victime d’un méga « power cut » causé par l’orage.

Le difficile départ des rajasthanis

Une fois chargé, vers minuit, le bus essaie de partir, mais s’embourbe à l’entrée du camp. Il tente de se dégager et arrache à moitié le portique de l’entrée en reculant. Les roues patinent, s’enfoncent dans la boue. Les plaques de tôles qui sont passées dessous pour le désengager sont broyées et le bus n’avance pas d’un centimètre. Des sillons sont alors creusés avec les moyens du bord à l’avant des roues et tout le monde se met à pousser le lourd véhicule, tandis que le chauffeur met les gaz. Miraculeusement, le bus avance de quelques centimètres, puis d’un mètre et finalement prend un peu de vitesse et rejoint cahin-caha une des allées principales couverte de plaques métalliques. Les râjasthânis qui poussaient sautent dedans et, dans un dernier salut, le bus prend la route du retour.

Soirée aux chandelles

Soirée aux chandelles à la Kumbha Mela

Lavinia et moi nous retrouvons seuls dans le camp et l’obscurité. On a réussi à garder un grand tapis de sol synthétique pour se protéger de la boue, ainsi que d’une ou deux couvertures sur lesquelles on s’installe quelques instants. On passe un bon moment à discuter à la lueur de ma bougie de secours. Ses grands yeux étincelant dans la lumière de la flamme me font oublier le froid et la tempête qui secoue dangereusement la tente.

Puis on se couche, épuisés mais heureux de pouvoir dormir au sec et au chaud après cette journée éreintante qui laissait présager le pire. On a une pensée pour tous les pèlerins qui dorment sous des abris précaires et n’ont pas notre chance.

Une heure plus tard, je suis réveillé par les gémissements de Lavinia qui se tord de douleur à côté de moi. Ses règles ont commencé et des spasmes lui coupent le souffle. Elle prend des antalgiques qui restent sans effet. Je lui en donne d’autres, sans plus de succès. On discute encore une heure dans le noir pour détourner son attention de la douleur, avant que je ne m’éteigne et qu’elle ne fasse de même, recroquevillée sur elle-même…

{fcomment}

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