Il y a les rencontres que je n’ai pas évoquées dans mes posts, car dénuées d’intérêt. Et celles que je n’ai pas évoquées pour préserver la sécurité de mes interlocuteurs, lorsque nous avons eu des conversations à contenu critique ou politique. Pour ma propre sécurité aussi. Quelle désagréable sensation que de s’autocensurer.
Une impitoyable dictature
Car il ne faut pas que mes posts précédents, évoquant sans relâche l’incroyable hospitalité et l’inoubliable générosité des iraniens, fassent oublier leur réalité quotidienne : le régime est bel et bien une terrible dictature. La société est muselée ; la culture étouffe, se meurt. Une impressionnante autant qu’efficace organisation de contrôle social et politique a été mise en place depuis trente ans pour garantir, à tout prix, le maintien au pouvoir des théocrates. Les syndicalistes, tout comme les émeutiers de 2009 qui exprimaient leur ras-le-bol et revendiquaient une libéralisation et une laïcisation de la société, en savent quelque chose.
Propagande politique
Dans l’espace public, les publicités commerciales sont presque inexistantes (ce qui est par ailleurs fort agréable), mais largement remplacées par la propagande des Mollah. L’Ayatollah Khomeyni est représenté sous toutes les coutures, à des dimensions démesurées. Les photos des martyrs de la guerre Iran-Irak ornent les artères principales et les abords des nombreuses rues qui portent leurs noms, des statues à leur mémoire s’élèvent sur le terre-plein des giratoires.
Lors d’une visite du tombeau de Khomeyni* dans la banlieue de Téhéran, un ami a été surpris d’entendre les intonations d’un prêche diffusé par haut-parleurs sur tout le site. Il a eu le sentiment d’être subitement ramené à Nuremberg dans les années 1930.
* Cet ami m’a par ailleurs rapporté que l’Iran offrait des séjours à l’Imam Khomeyni Shine à des chiites irakiens, tous frais payés, pour remplir les grands espaces du tombeau déserté par les iraniens.
Big Brother
En Iran, tous les médias sont étroitement contrôlés : journaux, télévision, cinéma, web. Facebook, Twitter, YouTube sont bloqués depuis les émeutes de 2009. Aucun journal n’est publié avant d’avoir été relu et censuré. Les e-mails et les appels téléphoniques sont filtrés et contrôlés par un imposant système répressif, qui ne se limite d’ailleurs pas aux télécommunications. Les parcs publics, les universités et leurs abords sont surveillés par des agents en civils. Le pouvoir prévient toute velléité de protestation et de manifestation publiques et les minorités ethniques, avec lesquelles existent des tensions, sont particulièrement sous contrôle.
Les routes longeant les lieux sensibles, notamment militaires et nucléaires, font aussi l’objet d’une intense et drastique surveillance, entre autres par caméra vidéo, comme je le rapporte sur une autre page:
« Un car de touriste roulait le long d’un de ces camps. A l’intérieur, un touriste tenait son appareil photo à la main, visible depuis l’extérieur, mais sans prendre de cliché. Le camp paraissait désert, personne en vue. Le car s’est néanmoins fait arrêter par une patrouille militaire quelques kilomètres plus loin, car la sécurité du camps a vu l’appareil à travers la vitre du car grâce à son système de vidéo-surveillance. Les soldats ont vérifié chaque photo de chaque appareil dans le bus pour s’assurer qu’aucun cliché du camp n’avait été pris. Ils ont, paraît-il, pris leur temps. »
Quelques anecdotes que l’on m’a rapportées sur la répression en Iran.
Sur écoute
Une personne m’a confié avoir un jour critiqué le gouvernement lors d’une conversation téléphonique avec un ami. Dix jours plus tard, il a reçu une convocation chez les flics. Comme il ne s’y est pas rendu, ces derniers ont débarqués chez lui et l’ont embarqué au poste manu militari. Résultat: pas de violences physiques, mais quatre heures d’interrogatoire durant lesquelles il a vu défiler une dizaine d’interlocuteurs –et autant d’uniformes– qui souhaitaient savoir ce qu’il avait à reprocher au gouvernement.
Société sous contrôle
Deux jeunes hommes m’abordent dans un parc. L’un d’eux entame la conversation avec des futilités, puis en vient à l’essentiel. Avec son frère, étudiant, ils ont participé à la révolution verte en 2009. Son frère s’est fait choper durant les émeutes, lui a réussi à prendre la fuite sans se faire prendre. Impossible pour son frère désormais de poursuivre des études en Iran, toutes les portes lui sont fermées. Il a dû s’exiler en Europe, où il a fait une demande d’asile politique. Lui, aimerait aussi quitter le pays pour une démocratie. Lorsque des uniformes passent à proximité, il se tait, baisse le ton ou change de sujet momentanément. Je lui fait remarquer qu’il y a une importante présence policière dans les rues, mais il me dit que ça, ce n’est rien. Les pires sont ceux qu’on ne voit pas. Il y en a beaucoup qui se promènent en civil dans les espaces publics et qui sont plus dangereux. Ils viennent s’asseoir sur un banc à proximité, écoutent les conversations et t’embarquent s’ils n’aiment pas ce qu’ils entendent.
Alors que je discute avec un petit groupe de personnes dans un parc, la conversation prend une direction engagée et critique. Quelqu’un rappelle aux autres qu’on ne parle pas politique dans les parcs. La conversation dévie instantanément sur des thèmes futiles.
Sortis de nulle part…
Lors d’une discussion, je demande à mon interlocuteur d’où sortent les soutiens du gouvernement et les personnes qui participent à la répression, étant donné que depuis que je suis arrivé en Iran, je n’ai encore rencontré presque personne qui ne critique le gouvernement. Qui donc sont ces soutiens ? Il me répond qu’il se pose la même question. On se marre… Il me dit néanmoins qu’il s’agit essentiellement de basiji, qui sont des volontaires souvent issus des milieux ruraux ou frustres, sans aucune éducation ni entraînement, à qui on donne d’entrée une arme pour défendre le système, sans poser de question.
Verre contre barreaux
Je discute avec un homme d’une septantaine d’années dans un petit resto populaire. Il me dit regretter l’époque du Shah, « quand les gens étaient libres et qu’on pouvait consommer de l’alcool ». Il avoue avoir eu un petit faible pour le whiskey, qu’il ne renie pas. Aujourd’hui, se faire choper bourré équivaut à quelques mois de prison.
Un plat sans sel
Un homme d’un certain âge, ayant travaillé pour une société occidentale sous le régime du Shah dont il regrette les libertés, me disait « qu’avec les intégristes au pouvoir, l’Iran est comme un excellent plat sans sel ». Avant d’ajouter que l’idéologie des mollahs qu’il abhorre est une vision arabe de l’Islam, alors que les iraniens revendiquent leur culture perse. Ce qui, m’explique-t-il, n’a rien à voir. Pour lui, perses et arabes, « c’est comme l’eau et l’huile, ça ne se mélange pas ! ». Ainsi, selon lui, la politique du gouvernement ne peut se mélanger avec la population iranienne.
L’indépendantiste azéri
Je me fais aborder par un jeune homme d’une vingtaine d’années, qui commence lui aussi avec des futilités avant d’en venir à ce qu’il a sur le cœur. Son anglais est hésitant, son débit rapide et plein d’émotion. Je ne comprends pas tout, mais j’en saisis l’essentiel. Il me demande si je connais la situation de l’Azerbaïdjan iranien. Je lui réponds que non, pas vraiment. Et en effet, je n’en ai jamais entendu parler. Il m’explique alors qu’il y a l’Azerbaïdjan du nord, indépendant, et celui du sud, rattaché à l’Iran. C’est le même peuple, avec les mêmes origines ethniques, la même langue, la même culture, mais une frontière au milieu. Selon lui, tout opposerait les azéris aux perses. Il accuse ces derniers de piller les ressources naturelles de l’Azerbaïdjan iranien et d’opprimer leurs azéris qui souhaitent l’indépendance. Son peuple n’aurait ni le droit de vivre sa culture, ni d’apprendre sa langue à l’école. Comme je lui dit avoir constaté un important déploiement policier dans la ville quelques jours auparavant et lui demande s’il c’était en lien avec la situation qu’il évoque, il me raconte qu’il y a six ans, un journal de Téhéran a fait paraître des caricatures d’azéris représentés en âne (qui s’avère etre un cafard, mais dans une version manipulée – voir ici), ce qui a été vécu par les azéris comme une énième humiliation et a fait scandale ici. Une manifestation avait alors rassemblé plus de dix mille personnes pour protester contre ce mépris affiché à leur égard. La manif a été brutalement réprimée et les manifestants mis en tôle. Le jour du déploiement policier à Tabriz était le jour anniversaire de cette manif et le pouvoir craignait qu’il n’y ait à nouveau des émeutes, d’où les flics dans tous les coins, pour tuer dans l’œuf toute tentative de rassemblement.
L’Iran et les droits de l’Homme
Devant l’ONU
- L’Iran sur le site du Conseil des droits de l’Homme (Haut-Commissariat aux droits de l’Homme)
- Les observations finales sur l’Iran du Conseil des droits de l’Homme en 2011
- La situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran – Rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran (A/66/361)
Devant les ONG
- Actualité d’Amnesty International sur l’Iran
- Rapport 2011 d’Amnesty International sur l’Iran
- Rapports et dossier sur l’Iran de la Fédération internationale des ligues de droits de l’Homme (FIDH)
- Dossier sur l’Iran de Human Rights Watch
- Ensemble contre la peine de mort (ECPM): dossier sur l’Iran
- Cyber-censure en Iran selon Reporters sans frontières