Ça y est: départ demain pour Goa où je vais rejoindre des potes qui y séjournent depuis un mois. Je me suis levé tôt ce matin pour aller chercher un billet de train à la gare de Bundi. Beaucoup de trains descendant de Delhi en direction de Goa s’arrêtent à Kota, une ville à une heure de bus de Bundi, mais ils sont complets sur plusieurs jours.
Les billets tatkal
J’ai donc dû me rabattre sur les billets tatkal, les billets d’urgence disponibles 24 heures à l’avance uniquement. Heureusement, je suis arrivé tôt à la gare, vers 8h30. Je fais la file, puis demande un tatkal pour Goa. Mais une copie du passeport est obligatoire pour avoir un billet tatkal, et je n’en ai pas. Retour donc en ville pour faire une copie du passeport avec un rickshaw qui m’arnaque, retour à la gare. Je remplis le formulaire, y joins la photocopie et le mets sur la pile de demandes tatkal sur le comptoir. Il est 9h15. Je dois poireauter jusqu’à 10h, heure d’ouverture pour les tatkal. Je fais la connaissance d’un indien du coin, capitaine dans l’infanterie de l’armée indienne qui retourne à sa base et cherche aussi un billet tatkal. Sympa, il parle bien anglais. On parle un peu de politique, des élections, de l’armée indienne et de l’armée suisse (lol).
A moins dix, un gars fait l’appel et nous attribue des numéros dans l’ordre de passage au guichet. A dix heures pile, le système s’enclenche pour un quart d’heure. Le type du guichet speed sur son clavier pour entrer le maximum de demandes durant les quinze minutes qui lui sont imparties, on passe rapidement les uns après les autres et je réussis à obtenir un billet pour le lendemain à 13h15 avant que le système ne s’arrête. En Sleeper Class dans un Express – il n’y avait plus de 3A – car pas de tatkal pour le Radjdhani que je voulais prendre. Ça ira très bien, bien que je redoute un peu le froid durant la nuit. Car je vais me taper vingt-quatre heures de train non-stop. J’arrive en effet le dimanche à 13h30 à Goa. Avec le Radjdhani, j’aurais gagné deux heures, ce qui est tripette…
Mon capitaine me ramène en moto au centre de Bundi. Je retourne à la guesthouse et informe la Mamaji que je pars le lendemain. Je trie mon bordel car je prévois d’envoyer un paquet en Suisse dans l’après-midi avec les trucs inutiles, histoire de m’alléger un poil. J’ai reçu plein de cadeaux ici : des habits pour mon amie et notre futur bébé de Mamaji ; des tissus et des shawls de mes grands brahmanes en chef de la Kumbha Mela. Tout cela ne rentre pas dans mon sac et il serait de toute façon inutile que je les trimbale encore trois mois. Donc retour par poste (ils vont certainement arriver en même temps que moi…), avec deux-trois bidules dont je n’ai plus besoin.
Yug, peintre de miniatures rajasthani, et Kalpana, sa femme
Mais pas le temps d’aller à la poste, j’ai rendez-vous avec Yug, mon copain qui peint des miniatures râjasthâni dans la rue, pour aller manger avec sa femme, Kalpana. Ils sont mariés depuis l’été passé et elle est enceinte de deux mois – la mienne de trois mois. Je monte donc à sa boutique et il va la chercher. Une très belle femme, très typée, un peu timide mais pas trop, revient avec lui. Elle était enseignante avec des petits élèves avant son mariage et vient de Bhopal.
Yug m’a appris qu’elle est née deux jours avant l’accident d’Union Carbide, qui a fait des centaines de morts en lâchant un nuage de dioxine sur la ville en décembre 1984. Une des pires catastrophes industrielles de l’histoire de l’Humanité. Aujourd’hui, des enfants naissent encore avec des malformations car les nappes phréatiques de la région sont bourrées de dioxines et le procès des responsables n’est toujours pas terminé. Elle ne semble pas avoir affectée et je leur tiens les pouces pour que leur enfant soit en pleine santé. Eux n’en savent rien encore car les échographies sont désormais interdites en Inde, dans l’espoir de redresser le déséquilibre du ratio hommes-femmes dans le pays. Trop d’avortements se pratiquaient en effet après que les parents aient eu appris qu’ils attendaient une fille. Ces pratiques, tant l’échographie prénatale que l’avortement des filles, ont donc été interdites. Yug et Kalpana ne sauront qu’à l’accouchement si c’est un garçon ou fille et si il ou elle est en bonne santé…
On pensait aller manger sur un rooftop à côté de sa boutique, mais comme Kalpana avait envie depuis longtemps d’un bon resto à la sortie de Bundi, on s’est engouffrés dans un rickshaw et on a mis le cap sur le Drizzly Resort, un resto sur Kumbha Stadium Road, en direction de Chatrapura, où habitent mes brahmanes en chef. On se retrouve seuls assis à une table au milieu d’un jardin à mariage, une de ces pelouses grandes comme un stade de foot où les indiens invitent parfois plusieurs milliers de personnes pour fêter l’événement. Le repas est délicieux. C’est le meilleur resto que j’aie goûté à Bundi.
Petit coup de pub pour Yug au passage: son site web www.yugart.com
Envoyer un paquet: pas si simple…
Il est près de quatre heure lorsque je reviens à la guesthouse et je dois encore amener mon paquet à la poste. Je stresse, car elle ferme à dix-sept heures et je dois encore trouver un carton à la bonne taille. Kishan me sauve avec un carton de bouteilles d’eau minérale qui traîne dans sa cuisine. Je fourre mon matos dedans, on scotche le tout abondamment et je saute sur la bécane de Jagdish, l’aide de Kishan, qui m’emmène à la poste. Lorsqu’on y arrive, il n’est que 16h45, mais le bureau est presque vide. Un fonctionnaire – un vrai – nous dit dans un bon anglais que c’est trop tard et que je dois encore faire coudre le paquet dans un tissu. C’est la pratique en Inde… Et pour ça, je dois 1° trouver du tissu et 2° le faire coudre autour du paquet. Là, je stresse sérieux : je dois prendre le bus pour Kota à 10h pour y prendre mon train et j’ai pas envie de le rater à cause des lenteurs de la poste.
On s’arrête chez un tailleur, un pote à Jagdish, apparemment, qui n’a pas le tissu. Il ne fait que de la couture. Direction un vendeur de tissu au marché, où je trouve enfin mon bout de toile. Je demande à Jagdish de retourner chez son pote, mais il insiste : « Mamaji will do it, no problem ! ». Perso, j’ai des doutes et j’imagine déjà la gueule du paquet si c’est Mamaji que le coud – ce qui se confirmera… – mais j’accepte néanmoins.
De retour au RN Haveli, je pose mon paquet et le tissu dans le living de Mamaji et retourne chez Yug qui voulait encore me faire un cadeau de départ après que je lui ait offert un couteau suisse. Il va chercher un tchaï, comme toujours, puis, me montrant le mur du fond de sa boutique où son affiché ses peintures préférées, il me demande d’en choisir une. Le choix est difficile, car beaucoup sont belles. Je me décide et il me la dédicace. En partant, je lui promets de revenir le voir à Bundi. Je ne sais pas quand, mais je reviendrai. Je le sais.
En rentrant, je trouve Mamaji dans la semi-obscurité de son salon, penchée sur une machine à coudre manuelle antédiluvienne, en train de tenter d’ajuster le tissu autour de mon paquet. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il flotte… Mais c’est gentil à elle de le faire et j’apprécie. Après avoir mangé à la guesthouse, je fais mon sac pour le lendemain, qui sera un peu stress : la poste ouvre à 9h30 et mon bus file à 10h. J’aime pas ça, mais faudra faire avec…
Soirée carrom
Mon sac à dos prêt, je retourne dans le séjour commun, où je retrouve une équipe en train de jouer au carrom, notamment Nicola et Sylvia, deux jeunes artistes de rue italiens qui vivent dans un bus et que j’aime bien. C’est leur premier séjour en Inde et je regrette qu’ils ne soient arrivés que hier. Notre rencontre aura été courte. Mais peut-être n’est-ce que la première.
La soirée se termine autour du carrom, par quelques parties endiablées.