Arrivée à Allahabad en fin de matinée, après plus de vingt-quatre heures de bus. Civil Lanes d’abord, les quartiers modernes. Du monde, mais sans plus. Tous se dirigent néanmoins dans la même direction : l’est. Je commence à retrouver des repères de mon séjour à Allahabad en 2010. En bord de route, divers panneaux publicitaires géants annoncent les prêches ou la présence de tel ou tel guru. On apprend ainsi que le Dalaï Lama donnait une conférence, mais début janvier. Dommage…
Entrée refusée au bus…
Puis on continue en direction de la Kumbha Mela, où on essaie d’entrer avec le bus, sans succès. On a pas le pass et les flics sont particulièrement intransigeants aux check-points. Le bus s’arrête sur le bas côté de la route, nos accompagnateurs en descendent, discutent avec des sâdhus-organisateurs et négocient avec les keufs. On poireaute un bon moment. Puis le bus repart, fait deux cents mètres jusqu’à une croisée, fait un premier 360° autour d’un pilier de fly-over qui fait office de giratoire. Le trafic est dense. Le bus s’arrête sur le bas côté. Puis refait un tour du pilier quelques minutes plus tard, avant de s’arrêter à nouveau. Repart pour faire un troisième tour autour du même pilier. On ne cherche pas à comprendre, mais on constate qu’on n’entre toujours pas dans la Kumbha Mela, alors qu’on va au secteur 7, à peu près à l’autre bout du site…
Le bus revient à son premier arrêt et on re-poireaute une heure, au terme de laquelle ça s’agite, les bagages sont sortis de la soute ou descendus du toit. Le bus n’arrive pas à avoir l’autorisation d’aller jusqu’au camp. Il en avait une, mais uniquement valable de 20h à 8h. Et comme on est arrivés avec du retard… Il va donc falloir trouver un autre moyen pour se rendre à notre destination finale.
Des tempos – rickshaws collectifs – sont hélés, mais comme il n’y en a pas pléthore on doit s’y entasser avec les affaires. Je me retrouve debout sur un marchepied, m’accrochant où je peux. A l’intérieur, les autres passagers disparaissent sous les sacs et les caisses.
Entrée dans la Kumbha Mela
Puis le rickshaw entre dans la Kumbha Mela proprement dite, rappelant des images familières. : une mer de tentes s’étend jusqu’à l’horizon, de nombreux ponts à flotteurs enjambent le Gange, les ponts ferroviaire et routiers de la route de Vârânasî surplombant le tout. De grandes allées perpendiculaires, couvertes de plaques métalliques, structurent l’espace et de gigantesques drapeaux orange flottent au vent.
Le rickshaw s’engage sur les routes provisoires qui sillonnent ce qui est habituellement le lit du Gange lorsque son niveau monte durant la mousson. On tressaute sur les cahots. Il monte en direction du secteur 7, mais de toute évidence ne sait pas où il va. On zigzague une demi-heure dans la Kumbha Mela avant d’enfin trouver notre emplacement, passant en chemin devant de hauts portiques décorés à la gloire de tel ou tel guru. Il est 13 heures lorsqu’on arrive.
Le camp de Moji Baba
Notre camp se révèle plutôt modeste, en retrait dans une petite allée transversale. Une grande tente rectangulaire servant aux cérémonies y est entourée de petites tentes d’habitation. Au fond, une structure abrite la cuisine format XXL. A côté, un grand espace couvert de tôle ondulée sert aux repas en commun. Sur la gauche, les douches-WC. Enfin douches, façon de parler : deux robinets se dressent derrière un tissu. Une palissade de tôle ondulée entoure le tout. Un portique sans prétention surplombe l’entrée, quelques guirlandes lumineuses ornent les murs du camp.
On s’installe dans une des tentes avec une dizaine de personnes, notamment notre Mamaji indienne, sa sœur et Shruti. Les tentes ne sont pas équipées et on pose le fond de notre canadienne en guise matelas de sol, sur lequel on étend encore quelques couvertures. C’est spartiate, le sol est inégal. Epuisés par la nuit dans le bus, on essaie de se poser un instant pour une petite sieste, mais on est tout de suite appelés pour le repas en commun. Ce qui en fait ne tombe pas si mal, vu qu’on crève de faim. Le repas, végétarien, se révèle succulent comme tous ceux qui suivront durant la semaine. « There might be a god in the kitchen » deviendra d’ailleurs mon mantra.
Le repas terminé, j’essaie d’aller me reposer, mais c’est peine perdue : nos rajasthanis n’arrêtent pas de défiler, qui pour voir les photos prises durant le voyage depuis Bundi, qui pour exercer son anglais, qui pour demander un coup de main à la construction du camp, qui pour avoir une clope qu’il ira fumer en cachette de la communauté. Car le camp est non fumeur et on constate assez rapidement qu’on est entourés de brahmanes, ces derniers refusant – théoriquement – la consommation de tout intoxicant, y compris le tabac. Donc à chaque cigarette, je sors du camp, régulièrement suivi par l’un ou l’autre qui vientra discrètement me taxer une clope, mais ce qui me donne aussi l’occasion de contempler la vie au-dehors. Durant toute la semaine qui vient, presque 24 heures sur 24, des cohortes de pèlerins ne cesseront d’arriver en groupes, leurs bagages en équilibre sur la tête.
Je commence à être mal à l’aise. Suite au bug de Delhi, je porte ma seule et unique kurta depuis une semaine et elle tient bientôt debout toute seule, alors que tous nos hôtes sont tirés à quatre épingles. Il va falloir trouver une solution d’urgence.
Jour de repos malgré la curiosité
Trop fatigués pour aller crapahuter dans la Kumbha Mela, malgré la furieuse envie d’aller la découvrir, on reste au camp durant cette première journée. Le soir, après le souper, on s’autorise néanmoins une petite virée dans le quartier, histoire de boire un tchaï et commencer notre exploration. Au tchaïshop, on rencontre un routard allemand qui vient d’arriver et cherche à se loger. Etant nous-mêmes en position d’invités, on n’ose pas lui proposer de venir au camp, mais il a l’adresse approximative du camp Rainbow.
Quand la Kumbha Mela tourne au luna-park égocentrique…
Notre balade confirme certains sentiments qu’on a eu en arrivant avec le rickshaw. La Kumbha Mela, par certains aspects, ressemble plus à un luna-park qu’à un lieu de recueillement, avec ses portiques couverts de diodes clignotantes et la diffusion de chants divers et variés et de musique. On peine d’ailleurs parfois à distinguer les bhajans des tubes Bollywood du moment. Et elle ressemble plus à une concentration d’égo qu’à une école du détachement. Un jeune baba tout de safran vêtu et téléphone mobile à l’oreille passe au volant d’une grosse Jeep buggy, avant de s’engouffrer sous un portique sur lequel des posters géants affichent son sourire Pepsodent.
La première nuit nous plonge encore un peu plus dans l’ambiance : des haut-parleurs perçants, tout dans les aigus et installés à travers toute la Kumbha Mela, crachent des prières et des bhajans 24/24, créant une cacophonie impressionnante ; c’est à celui qui aura la sono la plus puissante. Il est parfaitement illusoire d’espérer dormir sans tampons auriculaires. On prend conscience également que le caractère sacré du sommeil qu’on a en Europe n’existe pas en Inde. Alors que toute la tente ou presque dort, ceux qui sont encore éveillé ne se gênent pas pour allumer la lumière et brailler avec les copains ou la tente d’à côté. Le sol est inconfortable, la nuit d’une humidité extrême et ça caille sérieusement. On est équipé limite… Vers cinq heures du mat’, avant même l’aurore, des bhajans sont chantés à coin sur les baffles qui ont été installées dans la tente de cérémonie juste à côté de nous.